Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Nitt prof de FLE
Archives
7 août 2007

L'enseignement d'une langue étrangère en contexte associatif (2)

Les apprenants, leur ego, et la gestion de groupe

Un aspect de la classe de langue avec un public adulte est très peu abordé dans la théorie, sûrement parce que, si chaque enseignant le retrouve un jour, il doit le gérer à sa façon, en fonction de sa propre personnalité et de celle des apprenants, du cadre, et de tous les facteurs humains imprévisibles comme les âges, les statuts professionnels, les objectifs du cours, etc. Dans les cours de didactique cela fait tout au plus l'objet d'anecdotes, mais jamais d'un thème structuré ni abordé comme réflexion pédagogique. Il s'agit précisément de la personnalité des apprenants et de leur gestion pour conserver un groupe uni et avançant ensemble, tout en ménageant les egos plus ou moins forts de chacun.

L'apprenant relais / obstacle entre l'enseignant et le groupe

Il y a eu au début de mon stage le cas bien particulier, en classe d'alphabétisation, de M. W. : un apprenant qui était très avancé sur les autres car sa femme avait déjà pris des cours de français et lui avait transmis le maximum. Elle lui avait également donné ses fiches de cours, avec les conjugaisons du français et le vocabulaire de ses cours à elle, ce qui n'était pas fait pour faciliter le travail de l'enseignant qui procède par étapes et selon son propre programme. M. W., doué d'une grande confiance en lui et dépourvu d'insécurité linguistique, parlait beaucoup, en chinois comme en français, et finit très vite, en voyant certaines difficultés des enseignants pour se faire comprendre, par ne même plus se poser comme un intermédiaire entre l'enseignant et le reste de la classe, mais comme le référent linguistique.

Un enseignant est toujours heureux de voir un de ses apprenants oser parler en classe, participer activement à l'élaboration d'un savoir commun, et mettre une bonne ambiance dans le groupe par des mots d'esprits. Or M. W. était de ceux-là. Mon collègue et moi n'osions donc pas l'empêcher de parler lorsqu'il avait envie de participer, et nous tâchions d'encourager le reste du groupe classe à en faire autant. Les autres apprenants, comprenant que l'enseignant comptait parfois sur les compétences de M. W., se reposèrent très vite sur lui également, et, comptant sur ses capacités à comprendre l'enseignant et à traduire ensuite en chinois, ils lui posèrent directement leurs questions, au lieu de s'adresser au professeur quand ils avaient un problème. Cela finit par remettre en cause le statut du professeur qui n'apparaissait plus comme détenteur du savoir et de l'autorité, mais comme « auxiliaire de l'élève-relais », et ne trouvait plus sa place. Mon collègue ayant eu des difficultés à s'imposer lors de sa prise en main, il s'est laissé déborder, et j'ai eu également beaucoup de difficultés pour empêcher M. W. d'avoir recours à sa langue maternelle, en principe bannie de la classe. Il a fallu tempérer cet apprenant, le forcer à parler français et lui éviter de froisser les deux Vietnamiens du groupe, qui ne supportaient plus d'entendre parler chinois sans-cesse, pas plus que de l'entendre toujours lui plus que les autres.

Ainsi, parmi les deux Vietnamiens, Mme H., apprenante plutôt réservée, cherchait les occasions d'attirer notre attention, et profitait de chaque moment où nous l'écoutions attentivement pour parler le plus possible. Nous nous sommes trouvés devant un conflit entre deux apprenants qui avaient beaucoup de mal à travailler ensemble, et qui faisaient tout pour retenir l'attention du professeur, au détriment, bien souvent, de l'ambiance et de l'apprentissage des autres membres de la classe, que nous essayions tant bien que mal de faire participer. Chaque fois que M. W. parlait, Mme H. « boycottait » littéralement son intervention et discutait de son côté. Inversement, quand Mme H. participait en classe, M. W. discutait avec ses voisins en chinois.

Après un mois de stage, mon collègue m'a rapporté qu'une dispute a finalement éclaté entre les deux apprenants concernés. M. W. parlant trop, Mme H. avait fini par lui dire que son comportement était déplacé et qu'elle n'appréciait pas cela. Pour ma part, je n'ai pas eu le loisir d'appliquer les conseils avisés de notre coordinatrice pédagogique – demander à chaque apprenant de répéter ce que l'autre avait dit, entre autres – car peu de temps après, les deux protagonistes ont été absents assez souvent et régulièrement, et ne se sont plus trouvés en présence l'un de l'autre.

Un apprenant qui n'est jamais allé à l'école: encouragements, rapports de force, éducation sans infantilisation. Un véritable défi.

En février un nouveau a fait son apparition au cours de FLE. Analphabète malien, il était en France depuis six ans et parlait avec aisance, sans toutefois être toujours compréhensible, car son absence de repères écrits pour apprendre le français lui avait valu de retenir oralement des approximations, comme « grammaire » pour « grand-mère » ou encore « permis de connerie » pour « permis de conduire ». Extrêmement motivé, il voulait apprendre le plus vite possible mais ne s'attendait pas aux difficultés que tout apprenant de plus de vingt ans rencontre pour découvrir la lecture-écriture. Ses amis d'origine africaine lui avaient fourni un petit manuel d'apprentissage de la lecture sur lequel il s'est vite mis à travailler de son côté, ce qui m'a obligée, en plus d'adapter la classe à ses compétences en lecture-écriture, à m'adapter à ce qu'il apprenait tout seul.

Ayant vu un apprenant turc entrer en classe, saisir un feutre et écrire au tableau des nouveaux mots rencontrés en dehors du cours, il avait pris la même habitude, à cela près que lui recopiait au hasard et de travers des mots de son livre qu'il ne comprenait pas. Au bout d'un mois et après un travail acharné – avec la Méthode Boscher et des exercices que je préparais spécialement pour lui – pour lui faire écrire les minuscules cursives, je lui ai donné l'autorisation d'écrire au tableau uniquement s'il écrivait en minuscules. Je pensais le décourager par là d'utiliser un espace que je considère comme étant davantage celui du professeur que celui des apprenants – d'autant que cette habitude me faisait systématiquement décaler le cours de l'ensemble de la classe d'un bon quart d'heure. Or loin d'abandonner, il s'est mis à dessiner des formes semblables aux cursives. Par conséquent, en plus d'être obligée de lui demander s'il pouvait lire ce qu'il écrivait pour le forcer à ne copier que des mots choisis et à faire attention à l'orthographe, j'ai dû mener un nouveau travail sur la calligraphie.

Une des plus grosses difficultés de Diadie était de se concentrer sur une forme, un mouvement à reproduire afin de faire des lettres lisibles. La comparaison de formes et l'attention aux détails lui échappaient totalement, et ils se sentait souvent dépassé. Malheureusement, le reste du groupe classe avait également besoin de mon attention et je ne pouvais pas le suivre autant qu'il en avait besoin. J'ai vite appris à dire et reformuler plusieurs fois les consignes des exercices que je lui donnais pour lui éviter de tout faire de travers.

De plus, n'ayant jamais été à l'école, il ne comprenait pas la nécessité d'éteindre ses téléphones portables, de jeter son chewing-gum et de rester en classe pendant la séance. J'ai été également très surprise de l'entendre m'annoncer qu'il avait éructé en cours, de le voir me tendre son téléphone avec une photo de la foire du trône pour parler de cette fête alors qu'il était censé travailler en silence pendant que le reste de la classe faisait un travail oral, ou encore de s'étirer en baillant bruyamment avant de passer la main sous son tee-shirt. J'ai alors eu recours à des allusions comme « Diadie, je vois votre nombril » pour lui faire comprendre que certaines choses ne se font pas en classe, ce qui restait délicat.

J'ai aussi dû lui apprendre à me laisser l'autorité en cours de FLE. En effet, une apprenante chinoise en retard sur le reste de la classe est arrivée peu de temps après lui, et, fidèle à sa culture éducative, elle préférait s'adresser à sa voisine chinoise pour lui demander de l'aide en cas de détresse linguistique. Diadie considérait que l'emploi du français en classe de français était la règle primordiale de tout apprentissage, et surtout – il le révéla par la suite – il prenait ces interactions pour une mise à l'écart, et une preuve de racisme à son égard. Par conséquent entendre parler mongol ou chinois le faisait réagir instantanément et il demandait aux « coupables » d'arrêter immédiatement. Dans les premiers temps je lui donnais raison, car les apprenants devaient apprendre à produire uniquement en langue-cible, et les continuels apartés en chinois ou en mongol perturbaient la classe. Cependant après quelques jours, Diadie, conforté dans l'idée qu'il était interdit de parler sa langue maternelle dans l'association, se mit à faire des remarques dans et en dehors de la classe. Je dus mettre des limites et lui faire comprendre qu'il s'agissait simplement d'une technique d'apprentissage. Malgré moi, je donnais alors raison aux chinoises « un peu trop bavardes ». L'enjeu n'était plus une démarche pédagogique vis-à-vis des apprenants sinophones toujours enclins à parler leur langue maternelle, mais une démarche éducative et culturelle et une lutte pour l'autorité.

Après deux mois, quelques rappels à l'ordre et des exercices astreignants, Diadie n'est plus venu en cours. En revanche, il est venu au moins une fois par semaine, l'après-midi, saluer les membres de l'association.

Publicité
Commentaires
Nitt prof de FLE
Publicité
Publicité